Dans « Vivre nu », l’autrice Margaux Cassan nous emmène dans le monde du naturisme, dans lequel elle voit un remède à de nombreux maux de l’époque.

Propos recueillis par

En melant l'histoire du mouvement et son experience personnelle, Margaux Cassan montre que le naturisme permet de renouer un sentiment d'appartenance a la nature, de s'ouvrir a la diversite des corps et a l'acceptation de soi.

La Fédération française de naturisme a beau annoncer chaque année la hausse du nombre d’adeptes (2,5 millions), les villages réservés continuent de fermer leurs portes. C’est à partir de ce constat, et de la menace de voir celui de son enfance, Bélézy, dans le Vaucluse, transformé en camping « textile », que Margaux Cassan a décidé de monter au créneau. À 25 ans, diplômée d’un master en philosophie des religions et lancée dans une thèse de théologie, à Strasbourg, sur la charité dans le protestantisme et la justice sociale, elle interrompt ses recherches pour devenir plume.

Selon elle, le « naturisme familial, classique », par opposition aux pratiques plus « sexualisées », telles que le nudisme, décroît. La nudité dans la nature « ne parvient plus à capter les jeunes de (s)a génération, ni ceux de 30 ou 40 ans », dit-elle. Dans Vivre nu (Grasset), Margaux Cassan détaille, derrière la contre-culture et la marginalité revendiquée de cette pratique, ses valeurs et ses vertus. « Avec une alimentation frugale, des journées rythmées par une pratique sportive et le sauna, nous dit l’autrice, vous vous sentez comme au sortir d’une cure thermale en Suisse, sauf que c’est gratuit. » En mêlant l’histoire du mouvement et son expérience personnelle, Cassan démontre avec habileté que le naturisme permet de renouer avec la nature, de s’ouvrir à la diversité des corps et à l’acceptation de soi.

Dans les années 1960-1970, le naturisme battait son plein. Sommes-nous devenus pudiques ?

 

Margaux Cassan, autrice de Vivre nu, aux éditions Grasset. © JP PAGA

Margaux Cassan :Le rapport au corps a, en effet, beaucoup changé. Il est sans doute, pour ma génération, inspiré par les États-Unis, qui entretiennent quant à eux un rapport éminemment paradoxal entre une forme de puritanisme, où l’on veut absolument dissimuler le sein, le sexe, parce qu’on considère que les montrer cache forcément une intention sexuelle, et, de l’autre, une hypersexualisation du corps. Qu’on veuille le cacher ou au contraire l’exhiber, le corps est désormais réduit à l’état d’objet de désir potentiel, surtout s’il s’agit du corps féminin.

C’est notre regard qui a changé ?

Je pense que la façon dont on regarde le corps, cette association nudité-exhibition, est liée à l’usage des réseaux sociaux. Le corps y est uniquement perçu à travers le prisme du regard. Derrière la nudité, il y aurait forcément l’intention d’être regardé. D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, même si vous choisissez vous-même l’image de vous que vous voulez montrer, si vous êtes maître du contenu, vous n’en êtes pas moins figé dans une image, un instant T, et vous êtes là pour être regardé. C’est pour ça qu’il serait salutaire pour les jeunes de revenir dans les villages naturistes, de façon à considérer leur corps autrement que comme un objet destiné au regard. Le corps ne se réduit pas à ça.

Dans les villages naturistes, la nudité fonctionne comme un uniforme.

Votre village naturiste, Bélézy, a sa propre charte. N’est-ce pas là un paradoxe, quand on prône la liberté ?

La liberté, de mon point de vue, est assez secondaire. Si les gens viennent dans des communautés naturistes, c’est d’abord pour ressentir l’égalité entre les genres, entre les corps, entre les classes sociales, puisque le vêtement crée souvent cette distinction.

L’effet lissage des classes sociales, en retirant ses vêtements, de l’utopie soixante-huitarde, vous semble-t-il encore valable aujourd’hui ?

Je pense que c’est encore vrai à Paris. Ce qui me frappe, c’est à quel point les gens y traînent entre eux dans un système d’endogamie, voire de caste. Je me suis installée plus de deux ans à Marseille pour échapper à ce rapport sclérosant. Je pense que c’est lié au fait que, à Paris, on se définit d’abord par son travail, ce qui n’est pas vrai partout et plus du tout dans les villages naturistes. La nudité fonctionne comme un uniforme qui masque votre profession, votre génération et vos origines sociales. Dans une communauté naturiste, il arrive de passer un mois ensemble sans parler de quoi que ce soit de cet ordre. La nudité nous débarrasse de ça, c’est comme dans une colonie de vacances.

Vous écrivez : « Les naturistes ont longtemps été habillés », c’est-à-dire ?

Oui, dans le cadre de la distinction entre les nudistes et les naturistes. Chez les naturistes, la nudité est quasi secondaire. Derrière le naturisme, il y a une philosophie et un mode de vie qui sont beaucoup plus importants et contraignants. Comme manger peu de sucre, boire peu d’alcool, la pratique du sport et la banalisation de la médecine douce. Le naturisme, ce n’est pas seulement être nu. Ça implique aussi d’être dans un milieu naturel, en communauté, avec un mode de vie particulier.

Pourquoi, alors, se déshabiller ?

Historiquement, c’est venu assez rapidement, pour se libérer du capitalisme industriel et du patriarcat. Pour Sophie Zaïkowska, dont je parle dans le texte, ç’a été d’enlever son corset. Un corset comme objet de domination.

Qu’apporte d’embrasser du regard les corps dans leur diversité ?

Quand on se regarde soi-même dans le miroir, c’est souvent comme une dysmorphie. Vous ne vous voyez pas comme vous êtes et vous vous focalisez au contraire sur tel ou tel défaut. Dans un village naturiste, d’abord, il n’y a pas de miroir, on ne se prend pas en photo avec son smartphone. Les corps que vous voyez ne sont pas ceux que vous montrent les réseaux sociaux ni les publicités, qui n’ont d’ailleurs rien de représentatif. Prendre conscience de la diversité des corps, c’est libérateur pour soi. Si on pense qu’un homme se définit par un pénis, par exemple, on se plante complètement. Il y a des hommes dont on ne voit pas le pénis, soit parce qu’il est petit, soit parce que leur ventre le cache. L’art statuaire, et à présent les réseaux sociaux et la publicité, a fait beaucoup de mal à notre conception du corps. Et je pense que le fait de le voir dans sa réalité, non idéalisé, dans sa diversité, permet tout simplement de se décentrer. Vous n’êtes plus seul face au miroir en train de vous demander si ce n’est un peu trop gras ici ou trop plat là.

Montrer le corps dans sa diversité, c’est l’argument du mouvement qu’on appelle « body positivisme ». En quoi le naturisme se différencie-t-il ?

Ce que je vais dire est un peu clivant. Je pense que c’est une chose d’accepter la diversité des corps, mais que, dans le body positivisme, il y a autre chose. Parce que, parfois, ce mouvement veut mettre en avant des corps qui, sous prétexte d’être différents, sont des corps en mauvaise santé. Ce qui est intéressant dans le naturisme, a contrario, c’est qu’effectivement il n’y a pas de corps parfait, mais le curseur du « bon corps », entre guillemets, c’est quand même la santé. Si vous pensez avoir trouvé le chemin de la tolérance parce que vous exposez des femmes qui sont en situation d’obésité, je suis sceptique. Tout comme j’estime que l’extrême maigreur a été une catastrophe. Nous sommes d’ailleurs en train de glisser vers l’extrême inverse : pour correspondre aux codes du mannequinat, il vaut désormais mieux être en surpoids ou porter des taches sur le corps, le vitiligo. Je pense tout haut, mais je dirais que ce qui distingue le body positivisme, c’est que vous êtes encore dans la différence. Vous êtes cool parce que vous êtes différent. Le naturisme, c’est exactement l’inverse. Les corps sont certes différents, mais on n’exacerbe pas les différences.

Dans un village naturiste, on en vient à regarder un sexe exactement comme on regarde un coude.

« L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement bâille ? » écrivait Barthes. Quid du désir sexuel quand on ne cache plus rien ? Est-ce que voir la verge de l’autre aussi souvent que son coude annihile le désir ?

Dans un village naturiste, on en vient en effet à regarder un sexe exactement comme on regarde un coude. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de désir. Le soir, on s’habille, et si drague il doit y avoir, drague il y aura. Dans la journée, en revanche, avec la nudité, l’accord est tacite, on ne s’aborde pas. D’autant qu’il est vrai que le désir est construit, à tort ou à raison, sur un sentiment de transgression et d’inaccessibilité. Le corps nu n’est jamais plus désirable que vu par le trou de la serrure…

Vous écrivez : « Retirer sa culotte, ça change tout dans son rapport au monde. » On verrait le monde autrement, cul nu ?

J’ai bien écrit ça ! Je parle du rapport à la nature. Je ne sais pas si vous avez déjà fait l’expérience de nager nu dans la mer, mais le sentiment est immédiatement très différent. D’abord, c’est beaucoup plus agréable de sentir l’eau sur sa peau, mais on se sent aussi bien plus vulnérable. On ne voit pas le fond, on pense aux méduses, etc. On se sent à la fois réceptif à la nature et vulnérable à ses aspérités. Le froid comme la chaleur sont ressentis d’une autre façon. Personnellement, je ressens même davantage mon animalité. Je m’explique : c’est comme si j’avais un rapport plus spontané aux êtres vivants. C’est à ce propos que je me demande

pourquoi les jeunes ou les militants écolos ne se saisissent pas de la cause naturiste ! Parce que, pour protéger la nature, il n’y a pas de meilleur moyen que de se sentir en faire partie. La nudité dans un environnement naturel nous donne ce sentiment de partage et de fragilité. On se sent aussi fragile qu’une feuille. La nature et soi.

 

Vivre nu, de Margaux Cassan (Grasset, 216 p., 19 euros).

Source : Le point

 

 

 

 

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